Test cognitif d'un cheval grâce à un écran, crédit Léa Lansade

Léa Lansade, l’éthologie pour mieux comprendre comment fonctionnent les chevaux

Titulaire d’un doctorat en biologie du comportement et codirigeante de l’équipe Cognition, éthologie et bien-être animal de l’unité de recherche CNRS, IFCE, INRAE de l’université de Tours, Léa Lansade révèle dans son ouvrage « Dans la tête d’un cheval » les étonnantes découvertes récentes des scientifiques expliquant le comportement des chevaux. Autant de clefs pour mieux comprendre les équidés.

Bonjour Léa Lansade, pouvez-vous nous expliquer votre parcours et comment vous est venu cet intérêt pour la compréhension du comportement des chevaux ?

Bonjour, je suis cavalière depuis l’âge de 10 ans. Trop jeune, j’ai choisi ma première jument sur des critères seulement esthétiques, parce que je la trouvais très jolie, ce qui m’a valu de nombreuses chutes m’amenant jusqu’à l’hôpital. Cette jument n’avait pas un tempérament adapté à mes capacités de cavalière de l’époque et la monter constituait un danger pour moi comme pour elle.

Léa Lansade avec un cheval, crédit Léa Lansade
Léa Lansade éthologue spécialiste des chevaux, crédit Léa Lansade

Cette difficulté liée au comportement de mon cheval, plus la découverte du travail de Konrad Lorenz sur l’imprégnation des oies cendrées, m’ont amenée à m’intéresser à l’éthologie. Naturellement, je me suis spécialisée dans le comportement des chevaux.

Pourquoi écrire un livre sur les dernières découvertes de l’éthologie équine ?

Durant les confinements, j’ai créé une page Facebook pour relayer les actualités sur le sujet et également les résultats des études que nous obtenons au laboratoire. Il y a un réel intérêt pour le sujet et régulièrement mes lecteurs me demandaient où retrouver toutes ces informations synthétisées.

Ainsi, quand Jessica Serra me l’a proposé, j’ai accepté d’écrire cet essai dans la collection Mondes animaux qu’elle dirige.

Votre vision du cheval a-t-elle évolué grâce à l’éthologie ?

Bien sûr, ma vision évolue en permanence ! Grâce aux recherches effectuées chez nous et dans le monde entier, nous découvrons aux chevaux des capacités cognitives que l’on ne soupçonnait pas !

Une partie des membres de l’équipe Cognition Éthologie Bien-être Animal de Léa Lansade à l’INRAE de l’université de Tours, crédit V Ferreira

des capacités cognitives que l’on ne soupçonnait pas

Par exemple, une étude a révélé qu’après seulement douze semaines passées en box, les chevaux activent des gènes codant l’apoptose, c’est à dire la mort cellulaire ! Cela provoque des postures apathiques, des ulcères gastriques et peut déclencher rapidement des maladies. On se doutait que la mise en box posait problème, mais pas une telle incidence, si rapide, détectable par des prises de sang.

Vous expliquez dans votre ouvrage que les chevaux communiquent grâce à leurs expressions faciales mais que les personnes qui s’en occupent ne les comprennent pas forcément. Pour cette raison, plus d’un cheval sur deux n’apprécie pas le pansage

En effet, les yeux, la bouche, la position des oreilles… la complexité de leur musculature faciale vaut bien la nôtre, et tous les cavaliers devraient apprendre à reconnaître les traits habituels de leur cheval, pour comprendre les expressions de plaisir et d’inconfort par exemple.

tous les cavaliers devraient apprendre à reconnaître les traits habituels de leur cheval

La relation à l’animal se développe lors du pansage, un moment privilégié pour provoquer du plaisir. Encore faut-il interpréter correctement les indications corporelles du cheval, pour brosser les zones apportant de la satisfaction et éviter les parties douloureuses ou désagréables. Malheureusement, et ça m’est arrivé également, le pansage s’effectue souvent de manière automatique sans développer cette interaction bénéfique si difficile à trouver dans d’autres activités avec l’animal. Logiquement, le cheval n’y trouve pas de plaisir.

Votre sujet de thèse portait sur la définition d’un protocole pour étudier la personnalité des chevaux. Vous avez retenu cinq critères, notés entre 0 et 5 : émotivité, grégarité, sensibilité sensorielle, proximité avec l’humain et activité générale. A quoi servent de tels critères ?

La filière équestre attendait la définition de tels critères pour faciliter l’adéquation entre les cavaliers et les chevaux. J’ai moi-même choisi une jument qui ne m’était pas adaptée quand j’étais jeune, faute de connaissance, ce qui a constitué un danger. Ma jument a fini tranquillement au pré, mais il faut savoir que la non correspondance entre le tempérament du cheval et les attentes des propriétaires constitue la première cause d’abattage des chevaux. D’où l’intérêt d’une meilleure connaissance et compréhension de son comportement lors du choix d’un cheval.

Après avoir décrit une expérience lors de laquelle les chevaux sollicitent des humains, vous écrivez que nous n’avons pas suffisamment conscience de ce que les chevaux cherchent à nous dire quand ils nous touchent avec le bout de leur nez…

Tout à fait, les chevaux parlent avec leurs expressions faciales mais aussi avec d’autres parties de leurs corps. Quand un cheval tend le bout de son nez, souvent le cavalier repousse le cheval en lui donnant une petite tape pour qu’il respecte une bulle de sécurité. Or cette expérience montre que le cheval exprime une demande en touchant la personne avec le bout de son nez. Il s’agit ici d’une incompréhension si l’humain réprimande l’équidé lorsqu’il cherche de l’aide.

Pour vous, les chevaux disposent de compétences plus développées que nous en terme de cognition sociale ?

Oui, c’est indéniable. Les chevaux comprennent beaucoup mieux nos émotions que nous ne comprenons les leurs. Ils réagissent très rapidement à l’intonation de notre voix, à nos expressions faciales, reconnaissent très bien nos visages. On ne peut pas forcément en dire autant de nous vis à vis d’eux.

Un cheval en test de reconnaissance de visages, crédit Céline Parias
Un cheval en test de reconnaissance de visages, crédit Céline Parias

Au sein de leur espèce, les chevaux vivant en liberté évoluent dans un système complexe de fission fusion, passant de petits collectifs à d’énormes troupeaux : cela nécessite des compétences sociales élaborées pour organiser le groupe.

Qu’ils se reconnaissent si bien entre eux peut s’expliquer par ces conditions de vie nécessitant une certaine adaptation au collectif. Mais pourquoi nous comprennent-ils si bien ?

Cela reste un grand mystère ! Des collègues éthologues japonais émettent l’hypothèse que le développement du langage articulé chez les humains s’est effectué au détriment de cette capacité à lire les émotions. Comme si la communication par le langage se substituait à l’expression corporelle.

Autre signe d’adaptation au milieu : la mémoire. Vous relatez des expériences révélant que les chevaux retiennent de manière extraordinaire des apprentissages sur plusieurs années alors que leur mémoire à court terme, dite de travail, reste très limitée.

Oui, quand j’étais jeune, je lisais un livre expliquant qu’il suffisait de laisser quelques mois au pré un cheval traumatisé pour qu’il oublie tout et pouvoir recommencer l’apprentissage. Ça ne fonctionne pas du tout comme ça !

Si un cheval sait comment faire tomber son cavalier, il n’oubliera pas la méthode.

Les chevaux n’oublient jamais les événements marquants. Si un cheval sait comment faire tomber son cavalier, il n’oubliera pas la méthode. Son éducation se construit « en lasagne », un apprentissage en recouvrant un autre, mais l’intégralité subsiste en mémoire et peut surgir de nouveau, plusieurs années plus tard.

Vous écrivez une très belle phrase vers la fin de votre livre, que je cite ici : « chaque espèce vit dans un monde qui lui est propre et a une compréhension de son environnement qui lui est spécifique ». Que signifie-t-elle ?

J’invite à se méfier de la notion d’intelligence, lors par exemple de la comparaison de l’intelligence d’un animal avec celle d’un enfant de tel âge. Chaque espèce développe des compétences propres à ses besoins. Les chevaux excellent socialement parce qu’ils vivent en troupeau. Se mettre à la place de l’animal pour le comprendre, et non l’inverse, voilà le principe de l’éthologie.

Léa Lansade en observation d'un cheval, crédit Léa Lansade
Léa Lansade en observation d’un cheval, crédit Léa Lansade

Depuis vingt ans, les connaissances sur le comportement du cheval progressent très vite et clairement nos relations doivent évoluer. Les interdictions de certaines pratiques arrivent par les scandales. J’explique dans le livre que la SPA a été créée en 1845 suite à un scandale provoqué par un charretier infligeant en plein Paris coups de pieds et de fouets à son cheval épuisé.

Si un ménage est effectué, que les acteurs du monde équin respectent le bien-être animal, en fonction de ce que l’éthologie révèle, je suis convaincue que l’on peut continuer à travailler avec les chevaux de manière éthique, dans le respect de leurs besoins et de leur sensibilité.

Merci beaucoup pour cet entretien Léa Lansade, je rappelle les références de votre ouvrage « Dans la tête d’un cheval » sorti le 4 octobre 2023 dans la collection Mondes Animaux, aux éditions humenSciences.

Ouvrage Dans la tête d'un cheval de Léa Lansade
Ouvrage Dans la tête d’un cheval de Léa Lansade