Ce vendredi 2 juin 2023, en forêt de Rohanne à Notre Dame des Landes en Loire-Atlantique, une quarantaine de personnes assistait à une démonstration de débusquage et débardage à cheval, à l’invitation du pôle bois de la coopérative bocagère de Vigneux de Bretagne et de l’association de professionnels Débardage Cheval Environnement. Un instant hors du temps, soulevant des problématiques bien contemporaines. Ambiance.
Quelques minutes avant l’heure du rendez-vous, en lisière de forêt, les discussions entre participants s’entremêlent déjà autour de tasses de café offertes par les organisateurs. Sur place, des institutionnels représentant des communes voisines, Nantes Métropole, l’Office National des Forêts, le département propriétaire du boisement, des associations de gestion de la filière bois, des acteurs professionnels tels que débardeurs, prestataires du milieu équin, ou gestionnaires d’une scierie mobile… l’invitation à découvrir l’utilisation du cheval en milieu forestier a rencontré un public large, signe d’une considération renouvelée pour une activité tombée en désuétude depuis quelques dizaines d’années.
Ce qui est important pour nous, c’est que les gens se réapproprient la forêt
La forêt de Rohanne, cela n’échappe à personne, bénéficie d’une portée symbolique extraordinaire, liée à son histoire intégrée à la zone d’aménagement différé (ZAD) décidée par l’État, puis à la zone à défendre instituée par les occupants du lieu. Si le peuplement forestier ne date que de 1948, les épicéas, douglas et autres pins sylvestres plantés au milieu du XXème siècle bénéficient ici d’une considération particulière, tant les zadistes incarnent une redéfinition du rapport au vivant plébiscitée par les écologistes les plus radicaux.

Ici, plus qu’ailleurs, l’arbre s’insère dans un écosystème minéral, végétal, animal, humain. Naturellement, l’association Abracadabois qui assure la gestion collective bénévole du boisement de soixante hectares depuis 2014 et le pôle bois de la Coopérative Bocagère à visée professionnelle évoluent en symbiose, afin que les humains souhaitant vivre de cette activité conservent l’esprit d’entraide des combats menés ici.
La traction animale pour repenser son rapport à la forêt
Leur démarche avec le cheval ? Ne pas rentrer avec des machines sur les parcelles cultivées. Les chevaux tirent les charges dans les zones sensibles, afin de préserver les sols du tassement et des ornières laissées par les roues des véhicules à moteur.

Le travail en forêt se divise en plusieurs étapes. Tout d’abord décider quels arbres couper. « La sensibilité du choix des arbres fait partie de notre métier » précise l’organisateur. Si le boisement de la forêt de Rohanne reste peu différencié, l’âge des arbres variant peu, la démarche consiste à gérer les forêts en futaie irrégulière. Ce mode de gestion s’oppose à la coupe franche consistant à récolter intégralement une parcelle d’arbres du même âge.
La sensibilité du choix des arbres fait partie de notre métier
Au contraire, la gestion en futaie irrégulière consiste à laisser se côtoyer des végétaux d’âges différents. Le principe ? La diversité des essences et des formes de développement des végétaux favorise la vitalité et la diversité de la faune et de la flore sauvages. Sur une parcelle, les professionnels interviennent tous les six ou sept ans, leur travail consistant à irrégulariser le boisement pour favoriser la régénération naturelle. A l’échelle de la forêt, recréer un monde multipliant la diversité des habitats possibles.

Une fois les arbres sélectionnés, éventuellement éhouppés pour les bois de valeur, coupés et ébranchés par les bûcherons, la première action mobilisant la force motrice des chevaux consiste à extraire les grumes du boisement.
Débusquage et débardage avec les chevaux
Lors de cette opération de débusquage, les chevaux trainent au sol des futs de plusieurs centaines de kilos. Un système de mouflage, par l’utilisation de poulies, démultiplie la capacité de traction des animaux.

Dans ces conditions, l’emploi du cheval en forêt se justifie économiquement sur moins de cent mètres. Après le débusquage, soit le premier déplacement du tronc, le débardage correspond à la sortie de l’arbre du boisement via un petit chemin nommé le layon. En raison des contraintes de dimensionnement des bras mécaniques des machines modernes, l’ONF impose l’entretien de cloisonnements d’exploitation tous les vingt mètres dans les boisements gérés par l’organisation alors que « l’idéal est de débusquer sur 30 – 40 mètres avec le cheval » précise un professionnel. Ainsi, même absente, la machine industrielle imprime ses standards dans les esprits et sur le milieu naturel.

Une fois le bois arrivé au layon, le plus souvent les machines l’acheminent jusqu’à un lieu de stockage situé en bord de route. Ce matin, en forêt de Rohanne, afin de préserver les lieux et la cohérence de la démarche écologique, les chevaux sortent les grumes une à une du boisement. Un outillage spécifique adapté, le fardier, ou trinqueballe, soulève la charge pour la répartir sur les roues pneumatiques afin d’éviter les frottements au sol. Visuellement, la différence saute aux yeux des spectateurs : les chevaux forcent beaucoup moins.

Une discussion technique s’engage sur l’emploi du frein de la trinqueballe par le meneur, en particulier dans les chemins en pente. Sur certains fardiers plus modernes, la pose au sol du tronc par l’utilisation d’un vérin électrique à commande à distance crée le frottement à la demande et constitue un système de freinage efficace. Ici, le choix plus écologique du vérin hydraulique manuel, s’il évite l’usage d’une batterie à plomb, ne facilite pas l’opération rapide de levage et posage de la charge pendant le mouvement.
Les chevaux, des athlètes bien dans leur tête
La démonstration se poursuit par l’entreposage des troncs à l’aide d’un savant arrangement de poulies disposées sur un arbre. Le plus souvent, les machines se chargent de cette opération périlleuse non rentable en traction animale.

« On coûte forcément plus cher que la machine » intervient Serge Le Louarn, acteur de la filière équine depuis 1990 et co-créateur du réseau professionnel Débardage Cheval Environnement (DCE). « Il n’y a pas de comparaison possible avec la mécanique ». Travailler avec du vivant impose d’autres contraintes. « Les chevaux sur les chantiers sont des athlètes qu’on ne peut pas arrêter et redémarrer comme des machines ». Et les différents intervenants d’insister sur le respect de l’animal, sur son confort de travail. Plus question en 2023 de taper un cheval. « Nous soignons nos chevaux toute l’année, ils voient des ostéopathes pour être bien dans leur tête ».
Pas de comparaison possible avec la mécanique
Cet attachement au rapport à l’animal, à la douceur de l’intervention sur les sols, à la précision et à la sensibilité apportés à la manipulation du végétal reste très exigeant, tant le regard porté par les acteurs industriels scrute le moindre faux pas pour décrédibiliser une filière fragile. « Si je me plante, je plante toute la filière traction animale » ajoute un prestataire. Et de souligner la dépendance des professionnels de la traction animale à des marchés publics attribués par quelques techniciens administratifs, qui changent régulièrement de poste. « Aujourd’hui, renchérit-il, le travail en traction animale doit être normé pour savoir ce qu’il est possible de faire, indépendamment des entreprises intervenants ».

La matinée de démonstration s’achève, et l’objectif de « convaincre du bien fondé de l’utilisation du cheval en forêt » atteint. Si parmi la quarantaine d’acteurs plus ou moins directs de la filière présents, personne ne doute de la pertinence écologique de la démarche, sa viabilité économique pose toujours question. Comme souvent avec les chevaux de travail, la dimension relationnelle de l’impact des usages sur les milieux et sur les représentations culturelles prime sur les considérations mercantiles.
une différence d’impact inquantifiable
Bien que les machines, largement subventionnées, restent, sur le plan comptable pour les donneurs d’ordre, moins chères et plus rapides que des techniques plus douces, la différence d’impact sur les écosystèmes demeure inquantifiable. Au delà des chiffres, les chevaux de trait et leurs meneurs, à Notre Dame des Landes comme ailleurs, jouent leur rôle pour redéfinir notre rapport au monde, par leur intégration dans les dynamiques du vivant, apportant à la gestion forestière leur supplément d’âme.
Branches et cheval, traction animale, 06 78 10 39 34
Coopérative bocagère, travaux forestiers, 06 15 89 01 99